Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/231

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buaient à des sentiments d’humanité la conduite d’un général, qui, pouvant réduire leurs enfants à l’esclavage et déshonorer leurs femmes, les avait épargnés et avait favorisé leur fuite. « Mes amis, dit Antigonus, ce n’est point par intérêt pour nous qu’il les a laissé aller ; c’est qu’il a craint de se donner des entraves, qui pouvaient l’arrêter dans sa fuite. »

Cependant Eumène, errant çà et là et battant en retraite, conseilla à la plupart de ses soldats de se retirer, soit par intérêt pour leur personne, soit qu’il craignît de traîner après lui une troupe trop faible pour combattre, et trop nombreuse pour échapper aux recherches de l’ennemi. Il alla s’enfermer dans Nora[1], lieu fort d’assiette sur les confins de la Lycaonie et de la Cappadoce, avec cinq cents chevaux et deux cents hommes de pied. Là, tous ceux de ses amis qui, ne pouvant supporter les incommodités de ce séjour et la disette où ils se trouvaient réduits, lui demandèrent leur congé, il les embrassa, les combla de témoignages d’amitié, et leur permit d’aller où ils voudraient. Antigonus arriva devant la place, et, avant de commander le siège, lui fit proposer une conférence. « Antigonus, répondit Eumène, a auprès de lui plusieurs amis, et des capitaines qui peuvent le remplacer ; mais aucun de ceux que j’ai à défendre n’est capable de commander après moi : si donc il veut avoir une conférence, il n’a qu’à m’envoyer des otages. » Antigonus lui fit dire par un second messager que c’était à lui de venir trouver celui qui était le plus fort. « Je ne reconnais, dit Eumène, personne plus fort que moi, tant que je suis maître de mon épée. »

Antigonus envoya pour otage dans la place, comme Eumène l’avait exigé, Ptolémée, son propre neveu ; et Eumène consentit alors à descendre auprès de lui. Ils se

  1. À quelques lieues de Célènes, vers l’Orient.