Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/370

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en lui donnant un successeur pour le triomphe bien plus que pour la conduite de la guerre, affligea les nobles, qui ne pouvaient se dissimuler l’injustice et l’ingratitude dont on payait les services de ce général. Mais ce n’était pas ce qui les touchait le plus : ils ne supportaient pas l’idée de voir élever Pompée à un degré de puissance qu’ils regardaient comme une tyrannie tout établie. Ils s’encourageaient donc les uns les autres à faire rejeter cette loi, et à ne pas trahir la liberté. Mais, quand le jour fut venu, ils perdirent courage, effrayés des dispositions du peuple, et gardèrent tous le silence. Catulus seul combattit longtemps la loi, mais sans pouvoir gagner personne du peuple : alors, s’adressant aux sénateurs, il leur cria plusieurs fois, du haut de la tribune, de chercher, comme leurs ancêtres, une montagne, une roche escarpée, pour s’y retirer et conserver la liberté[1]. La loi passa, malgré ses efforts, ratifiée, dit-on, par le suffrage unanime des tribus ; et Pompée, absent, fut déclaré maître absolu de presque tout ce que Sylla avait usurpé en subjuguant sa patrie par les armes et par la guerre.

Quand il reçut les lettres qui lui apprenaient ce décret, et que ceux de ses amis qui étaient présents l’en félicitèrent, il fronça les sourcils, se frappa la cuisse, et s’écria, comme accablé et affligé de la puissance qu’on lui décernait : « Ah ! mes travaux ne finiront donc pas ! Quel bonheur pour moi si je n’avais été qu’un particulier inconnu ! Ne cesserai-je point de passer d’un commandement à un autre ! Ne pourrai-je donc un jour me dérober à l’envie, et mener à la campagne, avec ma femme, une vie douce et paisible ! » Cette dissimulation déplut même a ses meilleurs amis : ils savaient très-bien que son ambition naturelle et sa passion pour le

  1. Allusion à la retraite du Sénat et du peuple dans le Capitole, lors de la prise de Rome par les Gaulois.