Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/424

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et qu’il était facile d’envelopper ; ils le prennent en flanc, pendant que la dixième légion le chargeait de front. Les ennemis ne résistèrent pas longtemps à ce double choc ; et, se voyant cernés eux-mêmes, bien loin d’avoir pu, comme ils l’espéraient, cerner les ennemis, ils abandonnèrent le champ de bataille. Dès que Pompée aperçut la poussière que faisait élever cette fuite, il se douta de ce qui était arrivé à sa cavalerie. Il serait malaisé de dire quelle fut sa pensée dans ce moment ; mais il eut tout à fait l’air d’un homme frappé tout à coup de vertige, et qui a perdu le sens : il ne se souvient plus qu’il est le grand Pompée, et se retire à petits pas dans son camp, sans rien dire à personne. On eût pu lui appliquer parfaitement les vers fameux[1] :

Jupiter, du haut de son trône, verse la terreur dans le cœur d’Ajax.
Ajax s’arrête tout stupéfait, jette sur son dos son bouclier aux sept cuirs de bœuf,
Et fuit loin de la mêlée, en regardant de tous côtés.


Tel Pompée entra dans sa tente, et s’y assit en silence. Enfin, les ennemis, qui poursuivaient les fuyards, ayant pénétré dans ses retranchements, il s’écria : « Quoi ! jusque dans mon camp ? » et, sans ajouter un mot de plus, il se lève, prend une robe convenable à sa fortune présente, et sort sans être vu de personne.

Ses autres légions prirent aussi la fuite ; et les ennemis s’emparèrent du camp, où ils firent un grand carnage des soldats qui gardaient les tentes et des valets d’armée. Car, de ceux qui combattirent, il n’y en eut, au rapport d’Asinius Pollion, qui était à cette bataille dans l’armée de César, que six mille de tués. Après que le camp eut été forcé, on vit jusqu’à quel point les ennemis avaient

  1. Iliade, xi, 543.