Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/510

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donna aussitôt qu’on fît des sacrifices pour la vie de Clitus ; d’autant qu’il avait eu lui-même, durant son sommeil, trois jours auparavant, une vision étrange à son sujet. Il avait cru le voir, revêtu d’une robe noire, assis au milieu des enfants de Parménion, qui tous étaient morts. Quoi qu’il en soit, Clitus n’avait pas attendu la fin de son sacrifice : il vint sur-le-champ souper chez le roi, qui avait ce jour-là sacrifié aux Dioscures. On avait déjà bu avec excès, lorsqu’on chanta des vers d’un certain Pranichus, ou, suivant d’autres, Piérion[1], où les capitaines macédoniens qui venaient d’être battus par les Barbares étaient couverts de honte et de ridicule. Les plus âgés des convives, indignés d’une pareille insulte, blâmaient également et le poète et celui qui chantait ses vers ; mais Alexandre et ses favoris prenaient plaisir à les entendre : ils ordonnèrent au musicien de continuer. Clitus, déjà échauffé par le vin, et qui était d’un naturel âpre et fier, se laissa aller atout son emportement : « C’est une indignité, s’écria-t-il, d’outrager ainsi, en présence de Barbares, et de Barbares ennemis, des Macédoniens qui ont été malheureux, mais qui valent beaucoup mieux que ceux qui les insultent. » Alexandre lui ayant dit qu’il plaidait sa propre cause, en appelant malheur ce qui n’était que lâcheté, Clitus se leva brusquement : « C’est pourtant cette lâcheté, répliqua-t-il, qui t’a sauvé la vie, lorsque, tout fils des dieux que tu es, tu tournais déjà le dos à l’épée de Spithridate. C’est le sang des Macédoniens, ce sont leurs blessures qui t’ont fait si grand, que, répudiant Philippe, tu veux à toute force te donner Ammon pour père. » Alexandre, vivement piqué de ce reproche : « Scélérat, s’écria-t-il, espères-tu te bien

  1. Ces deux poètes sont également inconnus l’un et l’autre.