Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/512

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autant d’audace que d’irrévérence, ce vers de l’Andromaque d’Euripide[1] :

Grands dieux, quelle mauvaise coutume s’établit dans la Grèce !


Alexandre désarme un de ses gardes ; et, voyant Clitus passer à côté de lui en ouvrant la portière, il lui passe la javeline au travers du corps. Clitus pousse un profond soupir, semblable à un mugissement, et tombe mort aux pieds du roi.

Alors Alexandre revient à lui-même ; et, comme ses amis restaient dans un morne silence, il arrache la javeline du corps de Clitus et veut s’en frapper à la gorge ; mais ses gardes lui arrêtèrent la main, et l’emportèrent de force dans sa chambre. Il passa toute la nuit et le jour suivant à fondre en larmes ; et, quand il n’eut plus la force de crier et de se lamenter, il resta étendu par terre sans proférer une parole, et poussant de profonds soupirs. Ses amis, qui craignaient les suites de ce silence obstiné, forcèrent la porte, et entrèrent dans la chambre. Il ne fit aucune attention à leurs discours ; mais le devin Aristandre lui rappela la vision qu’il avait eue au sujet de Clitus et le prodige dont il avait été témoin, comme des preuves qu’il n’y avait dans tout cet événement que l’accomplissement des arrêts de la destinée : cela parut un peu le soulager. Alors on fit entrer Callisthène le philosophe, parent d’Aristote, et Anaxarchus l’Abdéritain. Callisthène essaya doucement de le calmer, en invoquant les principes de la morale, et prit des détours pour s’insinuer dans son esprit, sans aigrir sa douleur. Mais Anaxarchus, qui s’était ouvert, dès son entrée dans la philosophie, une route nouvelle, et qui avait la réputation de dédaigner et de mépriser tous les autres philo-

  1. Vers 693.