Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/554

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soutenir contre Pompée, son rival politique. Crassus s’entendit avec les créanciers les plus difficiles et les moins traitables, et se porta caution pour huit cent trente talents[1]. César fut libre alors de partir pour son gouvernement. On dit que, traversant les Alpes, et passant par une petite ville de Barbares et qui n’avait qu’un petit nombre de misérables habitants, à cette question que lui firent en riant et par plaisanterie ceux qui l’accompagnaient : « Serait-il bien possible qu’il y eût là aussi des brigues pour les charges, des rivalités pour le premier rang, des jalousies entre les citoyens les plus puissants ? » César répondit très-sérieusement : « J’aimerais mieux être le premier chez eux que le second dans Rome. » Pendant son séjour en Espagne, il lisait, un jour de loisir, quelque passage de l’histoire d’Alexandre ; il tomba, après sa lecture, dans une méditation profonde, puis il se mit à pleurer. Ses amis, étonnés, lui en demandèrent la cause. « N’est-ce pas, dit-il, un juste sujet de douleur, de voir qu’Alexandre, à l’âge où je suis, eût déjà conquis tant de royaumes, et que je n’aie encore rien fait de mémorable ? » À peine arrivé en Espagne il se mit à l’œuvre ; et en peu de jours il eut recruté dix cohortes, qu’il joignit aux vingt qu’il y avait trouvées. Il marcha contre les Calléciens[2] et les Lusitaniens, les vainquit, et s’avança jusqu’à la mer extérieure, en subjuguant des nations qui n’avaient jamais été soumises aux Romains.

À la gloire des succès militaires il ajouta celle d’une sage administration pendant la paix : il rétablit la concorde dans les villes, et s’appliqua surtout à terminer les différends qui s’élevaient chaque jour entre les créan-

  1. Environ cinq millions de francs.
  2. La position des Calléciens n’est pas bien connue ; il paraît seulement, d’après Strabon, qu’ils étaient limitrophes de la Lusitanie.