Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais les sénateurs n’eurent pas la force de l’entendre : ils s’enfuirent précipitamment par les portes, et jetèrent parmi le peuple le trouble et l’effroi. On ferme les maisons, on abandonne les banques et les comptoirs : partout des gens qui courent, les uns allant au Sénat pour voir cet affreux spectacle, les autres revenant après l’avoir vu. Antoine et Lépidus, les deux plus grands amis de César, s’échappent secrètement, et cherchent un asile dans des maisons étrangères. Mais Brutus et ses complices, encore tout fumants du meurtre, l’épée nue à la main, sortent tous ensemble du Sénat, et prennent le chemin du Capitole, non point avec l’air de gens qui fuient, mais avec un visage serein, et pleins d’une entière confiance. Ils appelaient le peuple à la liberté, et s’arrêtaient à parler aux nobles qu’ils rencontraient sur leur passage. Il y en eut même qui montèrent avec eux, pour faire croire qu’ils avaient pris part à l’action, et en usurper la gloire. De ce nombre furent Caïus Octavius et Lentulus Spinther, qui, dans la suite, furent bien punis de leur vanité. Antoine et le jeune César les firent mettre à mort. Ils ne jouirent pas même de l’honneur qu’ils avaient ambitionné : personne ne crut qu’ils eussent trempé dans le meurtre ; et ceux-là même qui les condamnèrent punirent en eux, non l’exécution du crime, mais l’intention.

Le lendemain, Brutus et les autres conjurés se rendirent au Forum, et parlèrent au peuple, qui les écouta sans donner aucun signe de blâme ni d’approbation, témoignant à la fois, par son profond silence, et sa pitié pour César, et son respect pour Brutus. Le Sénat prononça une amnistie générale de tout le passé, et décréta qu’on rendrait à César les honneurs divins, et qu’on ne changerait pas la moindre chose aux ordonnances qu’il avait faites pendant sa dictature. Il distribua à Brutus et à ses complices des gouvernements, et leur décerna des hon-