Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/623

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comme s’il vivait dans la république de Platon, et non point dans la lie du peuple de Romulus, il ne put obtenir le consulat[1]. Il en fut de lui, ce me semble, comme des fruits qui viennent hors de saison : on les regarde avec plaisir, on les admire même, mais on n’en fait aucun usage. De même les mœurs antiques de Caton, apparaissant tout à coup dans Rome, après une interruption de plusieurs siècles, au milieu de la dépravation et de la perversité de son temps, lui acquirent d’abord beaucoup de considération et de gloire ; mais elles furent inutiles à la république, parce que l’élévation et l’austérité de sa vertu étaient en désaccord avec les goûts de son siècle. Lorsque Caton entra dans l’administration des affaires, sa patrie n’était point, comme celle de Phocion, sur le penchant de sa ruine ; elle était seulement battue de la tempête, et violemment agitée. Il n’y entra même qu’en. second, et ne fit que diriger les voiles et les cordages, pour aider ceux qui avaient plus d’autorité que lui. Quoique repoussé du gouvernement et de la conduite du navire, il eut pourtant un long combat à soutenir contre la Fortune : elle avait entrepris de renverser et de détruire la république ; et elle en vint à bout, mais par d’autres mains ; encore ne fut-ce que lentement, et après de longs et pénibles efforts : peu s’en fallut même que Rome ne triomphât de la Fortune, par le secours de Caton et de sa vertu. Au reste, quand nous comparons la vertu de Caton avec celle de Phocion, ce n’est point d’après ces ressemblances communes qui firent de l’un et de l’autre des gens de bien et de grands politiques ; car il y a de la différence de valeur à valeur, comme de la valeur d’Alci-

  1. Voyez la première lettre du second livre à Atticus. Seulement Cicéron n’y parle point du refus qu’éprouva Caton dans la poursuite du consulat, parce que ce fait est postérieur de plusieurs années à l’époque où fut écrite cette lettre.