Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/629

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il y appelait le plus sensé et le plus austère des citoyens, celui qui, plus que tout autre, s’opposait à ses volontés et à ses caprices. Un jour, qu’on lisait dans l’assemblée du peuple un oracle de Delphes, lequel portait que tous les Athéniens étaient d’accord, excepté un seul qui pensait différemment des autres, Phocion s’avança, et dit qu’il était inutile de chercher cet homme, et que c’était lui que l’oracle désignait, parce qu’il était le seul qui improuvât tout ce qui se faisait. Une autre fois, qu’il venait de haranguer le peuple, voyant son avis applaudi et adopté par toute l’assemblée, il se tourna vers ses amis, et dit : « Ne m’est-il point échappé par mégarde quelque sottise ? »

Un jour les Athéniens demandaient une contribution générale, pour faire un grand sacrifice : tous les autres citoyens avaient déjà fourni leur part ; mais Phocion, appelé plusieurs fois pour donner la sienne, finit par répondre : « Demandez aux riches ; pour moi, j’aurais honte de vous donner, n’ayant pas encore payé celui-ci. » Et il montrait l’usurier Calliclès. Comme on ne cessait de crier après lui, il conta cet apologue : « Un jour, un homme lâché se disposait à partir pour la guerre, lorsqu’il entendit des corbeaux croasser : effrayé, il pose les armes, et reste chez lui ; puis, un moment après, il les reprend, et se met en marche. Les corbeaux croassent de nouveau, et l’homme rentre dans sa maison, en disant : Croassez tant que bon vous semblera ; mais vous ne tâterez pas de ma peau. » Les Athéniens voulaient forcer Phocion de les mener à l’ennemi ; et, comme il s’y refusa, ils le traitèrent de poltron. « Vous ne pouvez me rendre brave, dit Phocion, ni moi vous rendre timides ; du reste, nous nous connaissons les uns les autres. » Dans des temps difficiles, le peuple s’emportait contre lui avec rudesse, voulant que, sur-le-champ, il rendît compte de son administration : « Eh ! mes amis,