Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/662

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Phocion appela un de ses amis en disant : « Puisqu’on ne peut pas mourir gratis à Athènes, je te prie de donner à cet homme l’argent qu’il demande. »

C’était le dix-neuf du mois Munyohion[1] ; et-ce jour-là les chevaliers faisaient une procession en l’honneur de Jupiter[2]. Lorsqu’ils passèrent devant la prison, les uns ôtèrent leurs couronnes, et les autres, en jetant les yeux sur la porte, ne purent retenir leurs larmes. Les citoyens qui n’avaient pas perdu tout sentiment d’humanité, et que la colère et l’envie n’avaient pas dépravés entièrement, regardaient comme une grande impiété qu’on n’eût pas renvoyé au lendemain cette exécution, afin que la ville ne fût pas souillée par une mort violente, pendant une fête aussi solennelle. Cependant les ennemis de Phocion, trouvant sans doute qu’il manquait encore quelque chose à leur triomphe, firent décréter que son corps serait porté hors du territoire de l’Attique, et que nul Athénien ne pourrait donner du feu pour faire ses funérailles. Pas un de ses amis n’osa toucher à son corps ; mais un certain Conopion, qui gagnait sa vie à ces sortes de besognes, le transporta au delà des terres d’Eleusis, et le brûla avec du feu pris sur le territoire de Mégare. Une femme du pays, que le hasard fit assistera ces funérailles avec ses esclaves, éleva à Phocion, dans le lieu même, un tertre vide, sur lequel elle fit les libations d’usage ; après quoi, mettant dans sa robe les ossements qu’elle avait recueillis, elle les porta la nuit dans sa maison, et les enterra sous son foyer, en disant : « Ο mon foyer, je dépose dans ton sein ces précieux restes d’un homme vertueux. Conserve-les avec soin, afin que, quand les Athéniens seront revenus à

  1. Correspondant, pour la plus grande partie, à notre mois d’avril.
  2. C’était la fête appelée Dialia, du nom du dieu en l’honneur duquel on la célébrait : Ζεύς, Jupiter, fait, au génitif, Διός.