Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/668

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Et il fit toujours la même réponse, jusqu’à ce qu’on fût las de répéter la question. Dans un âge plus avancé, l’affection qu’il portait à son frère ne fit que se fortifier de plus en plus : à vingt ans, il n’avait jamais soupe sans Cépion ; jamais il n’avait été à la campagne ni paru au Forum qu’avec lui. Mais, lorsque son frère se parfumait d’essences, il refusait de l’imiter ; et il suivait, dans tout le reste de sa vie, un régime dur et austère. Aussi Cépion, dont on admirait la tempérance et la frugalité, avouait que, comparé aux autres, il méritait l’éloge qu’on faisait de sa personne. « Mais, ajoutait-il, quand je compare ma vie à celle de Caton, je ne me trouve pas différent d’un Sippius. » Ce Sippius était un des hommes les plus décriés pour leur luxe et leur mollesse.

Caton, ayant été nommé prêtre d’Apollon, prit son domicile à part, et emporta son lot des biens paternels, qui fut de cent vingt talents[1]. Mais il resserra plus que jamais sa manière de vivre. Il se lia intimement avec Antipater de Tyr, philosophe stoïcien, et fit sa principale étude de la morale et de la politique. Épris d’un vif amour pour toutes les vertus, comme s’il y fût porté par une inspiration divine, il préférait néanmoins à toutes les autres la justice, mais une justice sévère, et qui ne se prêtait jamais à la grâce ni à la faveur. Il se forma aussi à l’éloquence, afin de pouvoir, au besoin, s’adresser au peuple assemblé : persuadé qu’il faut, dans la philosophie politique comme dans une grande cité, entretenir des forces toujours prêtes pour le combat. Cependant il ne s’exerçait pas à l’éloquence avec d’autres ; et jamais on ne l’entendit déclamer publiquement dans les écoles. Un de ses camarades lui disait un jour : « Caton, on blâme ton silence. — Je m’en console, répondit-il, pourvu qu’on ne blâme pas ma conduite. Je commen-

  1. Plus de sept cent mille francs de notre monnaie.