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LUCULLUS.

Tigrane, sortant avec peine comme d’une profonde ivresse : « Quoi ! s’écria-t-il deux ou trois fois, ces gens-là nous attaquent ? » Aussi cette multitude immense ne se put-elle former en bataille qu’avec beaucoup de confusion. Tigrane prit pour lui le centre ; il plaça à l’aile gauche le roi des Adiabéniens, et celui des Mèdes à la droite, sur le front de laquelle il disposa la plus grande partie de ses cavaliers bardés de fer.

Lucullus allait passer la rivière, quand quelques-uns de ses capitaines vinrent l’avertir de se garder de ce jour-là, comme étant un de ces jours néfastes que les Romains appellent noirs ; car il était l’anniversaire de la défaite de l’armée de Cépion[1] par les Cimbres. Lucullus répondit ce mot si connu : « Eh bien ! je rendrai ce jour heureux aux Romains. » C’était la veille des nones d’octobre. Ayant dit, il exhorte les siens à avoir bon courage, passe la rivière, et pousse le premier à l’ennemi. Il portait une cuirasse d’acier à écailles, toute luisante au soleil, et une cotte d’armes bordée d’une frange. Il fit aussitôt briller son épée aux yeux de ses soldats, pour leur faire entendre qu’il fallait tout de suite en venir à la mêlée avec un ennemi accoutumé à combattre de loin à coups de flèches, et lui ôter, par une attaque rapide, l’espace dont il avait besoin pour les lancer. Comme il vit que la cavalerie bardée de fer se déployait au pied d’une colline unie au sommet, et dont la pente, qui n’avait que quatre stades[2], n’était ni rapide ni coupée, il ordonna à ses cavaliers thraces et galates d’aller les prendre en flanc, et de détourner, avec l’épée, les lances des ennemis. En effet, c’est dans la lance que consiste uniquement la

  1. Les éditions donnent Scipion, mais c’est une erreur manifeste, ou plutôt une altération faite au nom véritable par quelque copiste ignorant.
  2. Moins d’un quart de lieue.