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LUCULLUS.

Il périt, dit-on, dans cette déroute, plus de cent mille hommes de pied, et il ne se sauva qu’un fort petit nombre de cavaliers. Les Romains n’eurent que cent hommes blessés et cinq tués. Le philosophe Antiochus[1], dans son Traité des Dieux, parle de cette bataille, et dit que le soleil n’en a jamais vu de semblable. Strabon[2], autre philosophe, écrit, dans ses Mémoires historiques, que les Romains étaient honteux, et se raillaient eux-mêmes, d’avoir eu besoin d’employer leurs armes contre de pareils esclaves. Tite Live prétend que jamais les Romains n’avaient eu à combattre des ennemis si supérieurs en nombre, car les vainqueurs n’étaient pas tout à fait la vingtième partie des vaincus. Aussi les plus habiles généraux romains, ceux qui s’étaient trouvés le plus souvent à la guerre, louaient surtout Lucullus d’avoir vaincu deux rois des plus célèbres et des plus puissants, par les deux moyens les plus opposés, la promptitude et la lenteur. En effet, il avait miné peu à peu, par les délais et par le temps, Mithridate au comble de sa puissance, et écrasé Tigrane par la soudaineté de l’attaque. Lucullus a été du très-petit nombre des généraux qui ont eu une lenteur active, et qui ont fait servir l’audace à leur sûreté.

Voilà pourquoi Mithridate ne se pressa point assez pour se trouver à la bataille : persuadé que Lucullus agirait dans cette guerre avec lenteur et prudence, il se rendait à petites journées au camp de Tigrane. Il rencontra sur le chemin quelques Arméniens qui fuyaient pleins de terreur et d’épouvante : il devina à l’instant le malheur qui venait d’arriver. Bientôt une foule de fuyards nus et

  1. Probablement ce philosophe de l’ancienne Académie dont il est question avec quelques détails à la fin de la Vie de Lucullus.
  2. C’est le même dont nous possédons encore la grande géographie ; mais les Mémoires historiques dont parle Plutarque n’existent plus.