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LUCULLUS.

soldats, en les forçant de passer deux hivers de suite dans leur camp, l’un devant Cyzique, et l’autre devant Amisus. Ils ne s’ennuyèrent pas moins les hivers suivants, qu’ils passèrent, ou à combattre dans le pays ennemi, ou sous des tentes, en pays allié ; car Lucullus n’entra pas une seule fois avec son armée dans une ville grecque et amie des Romains. Ces mécontentements des soldats s’aigrirent davantage encore par les efforts des démagogues de Rome, lesquels, dans leur envie contre Lucullus, l’accusaient de traîner la guerre en longueur pour satisfaire son ambition et son avarice : « Il embrasse, disaient-ils, dans son commandement, presque à lui seul, la Cilicie, l’Asie, la Bithynie, la Paphlagonie, la Galatie, le Pont, l’Arménie, tous les pays jusqu’au Phase : maintenant il pille les maisons royales de Tigrane, comme si on l’avait envoyé pour dépouiller les rois, et non pour les soumettre. » Telles étaient, dit-on, les déclamations du préteur Lucius Quintius[1]. Le peuple, entraîné par ses discours, ordonna qu’on enverrait à Lucullus des successeurs dans le gouvernement de ces provinces, et qu’on licencierait une grande partie de son armée.

Mais ce qui mit le comble à ces désagréments, et acheva de perdre Lucullus, ce fut l’hostilité de Publius Clodius[2], homme insolent, et tout plein de présomption et d’audace. Il était frère de la femme de Lucullus, et on l’accusait d’un honteux commerce avec sa sœur, dont les mœurs étaient fort déréglées. Il servait alors dans l’armée de Lucullus, en un rang qui lui paraissait bien au-dessous de son mérite, car il se croyait digne de la première place ; mais sa dépravation avait fait souvent

  1. Plutarque se sert de l’expression ἕνα τῶν στρατηγῶν, et il est fort possible qu’ici, contre sa coutume, il ait employé le mot στρατηγός dans un autre sens que prêteur, et qu’il veuille parler d’un des tribuns du peuple, comme le pense Xylander.
  2. Le même que Plutarque nomme plus haut Appius Clodius.