Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/169

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Ce discours donna d’abord une haute idée de la puissance de Cléomène et de son attachement pour le roi ; mais, dans la suite, la faiblesse de Ptolémée ayant augmenté sa défiance, et, comme il arrive ordinairement à ceux qui manquent de sens, le parti de tout craindre et de tout suspecter lui paraissant le plus sûr, cette même parole rendit Cléomène redoutable aux courtisans, parce qu’elle faisait connaître son crédit sur les soldats étrangers : plusieurs même disaient, en parlant de lui, que c’était un lion dans un troupeau de brebis. Et en effet, ses manières le faisaient paraître tel à ces officiers du roi, qu’il regardait d’un visage ferme, observant avec soin toutes leurs démarches.

Cléomène avait fini par se lasser de demander des vaisseaux et une armée, lorsqu’il apprit qu’Antigonus était mort, que les Achéens étaient engagés dans une guerre contre les Étoliens, et que l’état des affaires exigeait sa présence et le rappelait en Grèce, tout le Péloponnèse étant en proie au trouble et aux déchirements. Il demandait qu’on le laissât partir seul avec ses amis ; mais il ne fut écouté de personne : il ne put même obtenir une audience du roi, qui vivait au milieu des femmes, plongé dans les jeux et dans la débauche. Sosibius, le ministre qui gouvernait et dirigeait toutes les affaires, sentait bien que, retenir Cléomène contre son propre gré, ce serait le rendre intraitable et dangereux ; mais, en le laissant partir, on aurait, pensait-il, tout à craindre de l’audace et de l’ambition d’un homme qui avait vu étalées sous ses yeux les maladies du royaume d’Égypte. Tous les présents qu’on faisait à Cléomène ne radoucissaient pas ; et, comme le bœuf Apis, malgré la pâture la plus abondante et la plus recherchée, conserve le désir d’une vie conforme à sa nature, brûlant de courir et de bondir en liberté, et témoignant manifestement son déplaisir d’être toujours tenu sous la main du prêtre qui le garde, ainsi