Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/201

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Car le peuple ne dissimulait nullement sa malveillance : partout où il rencontrait Nasica, il le poursuivait à grands cris, il le traitait de maudit, de tyran qui avait souillé du sang d’un magistrat sacré et inviolable le temple le plus saint et le plus vénéré qui fût dans la ville. Il fut donc obligé de quitter l’Italie, bien qu’en sa qualité de grand pontife il fût chargé des principaux sacrifices. Il erra quelque temps de côté et d’autre, objet du mépris général[1], et mourut bientôt après à Pergame.

Au reste, on ne doit nullement s’étonner de la haine implacable que les Romains lui avaient vouée, puisque Scipion l’Africain lui-même, l’homme que les Romains avaient le plus aimé et aux plus justes titres, se vit sur le point de perdre leur affection, parce qu’en apprenant devant Numance la mort de Tibérius, il prononça tout haut ce vers d’Homère[2] :

Puisse périr aussi quiconque en ferait autant !

Plus tard, Caïus et Fulvius lui ayant demandé, dans l’assemblée du peuple, ce qu’il pensait de la mort de Tibérius, il fit une réponse qui donnait à entendre qu’il improuvait les lois de Tibérius. Aussi, depuis lors, fut-il souvent interrompu par la multitude, quand il parlait en public : ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant ; et lui-même se laissa aller jusqu’à dire des injures au peuple. Mais nous avons rapporté ces faits en détail dans la Vie de Scipion[3].

  1. Je lis ἀδόξως, au lieu de ἄλλως, d’après une leçon mentionnée par Henri Estienne, et confirmée par plusieurs manuscrits.
  2. Odyssée, 1,47.
  3. Cette Vie n’existe plus.