Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/386

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d’elle : alors elle entreprit de se justifier, en rejetant tout ce qui s’était fait sur la nécessité des conjonctures, et sur la crainte que lui inspirait Antoine. Mais, comme elle se vit arrêtée sur chaque article et convaincue par les faits mêmes, elle ne songea plus qu’à exciter la compassion de César, et eut recours aux prières, afin de lui laisser croire qu’elle désirait ardemment de vivre. Elle finit par lui remettre un état de toutes ses richesses. Séleucus, un de ses trésoriers, lui reprocha d’en dissimuler et d’en soustraire une partie : elle se lève aussitôt, le saisit aux cheveux, et lui donne plusieurs coups sur le visage. César se prit à rire de cet emportement, et voulut la calmer. « N’est-ce pas chose horrible, César, lui dit-elle, que, quand tu n’as pas dédaigné de venir me voir et me parler dans l’état déplorable où je suis, mes propres domestiques viennent me faire un crime d’avoir mis en réserve quelques bijoux de femme, que j’ai détournés, non pour m’en parer, moi malheureuse, mais pour en faire quelques légers présents à ta sœur Octavie, et à Livie, ton épouse, afin que leur protection te rende plus clément et plus doux envers moi. » César fut ravi de l’entendre parler ainsi, ne doutant point qu’elle n’eût repris l’amour de la vie : il lui donna tout ce qu’elle avait retenu de bijoux ; et, après l’avoir assuré qu’il la traiterait au delà même de ses espérances, il prit congé d’elle, et se retira, persuadé qu’il l’avait trompée, mais étant lui-même sa dupe.

Or, il y avait parmi les amis de César un jeune homme d’une des plus nobles familles, nommé Cornélius Dolabella, lequel, touché des malheurs de Cléopâtre, s’était engagé, à sa prière, à lui donner avis de tout ce qui se passerait. Il lui manda donc secrètement que César se disposait à s’en retourner par la Syrie, et qu’il avait résolu de la faire partir dans trois jours avec ses enfants. Sur cet avis, elle demanda à César la permission d’aller faire