Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montre Brutus dans les premières lettres qu’il écrivit alors.

Déjà Rome se partageait entre César et Antoine ; les armées étaient comme à l’encan, et s’adjugeaient à celui qui y mettait la plus haute enchère. Brutus, désespérant donc de ses affaires, résolut de quitter l’Italie ; et, ayant traversé par terre la Lucanie, il se rendit à Élée, sur le bord de la mer. Porcie, qui devait partir de là pour retourner à Rome, s’efforçait de cacher la douleur qu’elle éprouvait à la pensée de se séparer de son mari ; mais elle se trahit à la vue d’un tableau. Le sujet en était tiré de l’histoire grecque ; c’étaient les adieux d’Hector et d’Andromaque : Andromaque, les yeux fixés sur son époux, recevait de ses mains son fils encore tout enfant. La vue de ce tableau rappela à Porcie son propre malheur, et la fit fondre en larmes : elle alla le considérer plusieurs fois pendant le jour ; et cette image renouvelait ses pleurs. Acilius, un des amis de Brutus, la voyant en cet état, prononça ces paroles d’Andromaque à Hector[1] :

Mais toi, Hector, tu me tiens lieu d’un père, et d’une mère vénérée,
Et d’un frère ; tu es mon époux florissant de jeunesse.


« Pour moi, dit alors Brutus en souriant, je ne saurais adresser à Porcie les paroles d’Hector à Andromaque :

Va présider parmi tes femmes aux travaux du métier et de la quenouille[2].


« Car, si la faiblesse de son corps ne lui permet pas les mêmes exploits que nous, elle combattra, par la fermeté

  1. Iliade, VI, 429.
  2. Iliade, VI, 491.