Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/515

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les plus horribles tourments. » Ces paroles frappèrent d’étonnement tous les auditeurs ; mais Antoine, se tournant vers ceux qui avaient amené Lucilius ; « Mes compagnons, leur dit-il, vous êtes sans doute fort irrités de cette tromperie, que vous regardez comme une insulte ; mais sachez que vous avez fait une bien meilleure capture que celle que vous poursuiviez ; car vous cherchiez un ennemi, et vous m’avez amené un ami. Je ne sais, je vous le jure, comment j’aurais traité Brutus, si vous me l’aviez amené vivant ; et j’aime beaucoup mieux acquérir des amis comme celui-ci que d’avoir des ennemis en ma puissance. » En finissant ces mots, il embrassa Lucilius, puis il le remit aux mains d’un de ses amis. Il l’employa souvent dans la suite, et le trouva, en toute occasion fort attaché à lui, et d’une fidélité à toute épreuve.

Il était déjà nuit, lorsque Brutus, après avoir traversé une rivière dont les bords étaient escarpés et couverts d’arbres, s’éloigna du champ de bataille. Il s’arrêta dans un endroit creux, s’assit sur une grande roche, avec le petit nombre d’officiers et d’amis qui l’accompagnaient ; et là, élevant d’abord ses regards vers le ciel, qui était tout resplendissant d’étoiles, il prononça deux vers, dont l’un a été transcrit par Volumnius :

Jupiter, ne laisse pas échapper l’auteur de ces maux[1].


Volumnius dit avoir oublié l’autre. Brutus nomma ensuite tous ceux de ses amis qui avaient péri sous ses yeux, et soupira ; mais il soupira surtout au souvenir de Flavius et de Labéon : Labéon était son lieutenant, et Flavius le chef des ouvriers. En ce moment, quelqu’un de sa suite,

  1. Euripide, Médée, vers 332. C’est dans le vers dont Volumnius ne s’est point souvenu qu’est le mot tant reproché à Brutus : « Ô vertu, tu n’es qu’un vain nom ! »