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POÉSIES

Mille et mille poissons dans votre sein nourris
Ne vous attirent point de chagrins, de mépris :
Avec tant de bonheur d’où vient votre murmure ?
Hélas ! votre sort est si doux !
Taisez-vous, ruisseau, c’est à nous
À nous plaindre de la nature.
De tant de passions que nourrit notre cœur,
Apprenez qu’il n’en est pas une
Qui ne traîne après soi le trouble, la douleur,
Le repentir ou l’infortune ;
Elles déchirent nuit et jour
Les cœurs dont elles sont maîtresses ;
Mais de ces fatales faiblesses
La plus à craindre, c’est l’amour.
Ses douceurs mêmes sont cruelles :
Elles font cependant l’objet de tous les vœux.
Tous les autres plaisirs ne touchent point sans elles.
Mais des plus forts liens le temps use les nœuds ;
Et le cœur le plus amoureux
Devient tranquille, ou passe à des amours nouvelles.
Ruisseau, que vous êtes heureux !
Il n’est point parmi vous de ruisseaux infidèles.
Lorsque les ordres absolus
De l’Être indépendant qui gouverne le monde
Font qu’un autre ruisseau se mêle avec votre onde