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DIVERSES

Mes sens sur ma raison n’ont jamais eu d’empire,
Et mon tranquille cœur ne sait comme on soupire.
Il l’ignore, berger ; mais ne présumez pas
Qu’un tendre engagement fût pour lui sans appas.
Ce cœur, que le ciel fit délicat et sincère,
N’aimerait que trop bien, si je le laissais faire.
Mais, grâce aux immortels, une heureuse fierté
Sur un si doux penchant l’a toujours emporté
Sans cesse je me dis qu’une forte tendresse
Est, malgré tous nos soins, l’écueil de la sagesse :
Je fuis tout ce qui plaît, et je sais m’alarmer
Dès que quelqu’un paraît propre à se faire aimer.
Comme un subtil poison je regarde l’estime,
Et je crains l’amitié, bien qu’elle soit sans crime.
Pour sauver ma vertu de tant d’égaremens,
Je ne veux point d’amis qui puissent être amans.
Quand par mon peu d’appas leur raison est séduite,
Je cherche leurs défauts, j’impose à leur mérite ;
Rien, pour les ménager, ne me paraît permis,
Et dans tous mes amans je vois mes ennemis.
À l’abri d’une longue et sûre indifférence,
Je jouis d’une paix plus douce qu’on ne pense ;
L’esprit libre de soins, et l’âme sans amour,
Dans le sacré vallon je passe tout le jour :
J’y cueille avec plaisir cent et cent fleurs nouvelles