Page:Poésies de Malherbe.djvu/26

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au poète ? — « Il ne fallait, dit l’autre, que la mettre un peu plus bas. »

Cette dureté de ses jugements littéraires, il la portait trop souvent aussi dans ses relations avec le monde. Il s’en revenait un soir de chez M. de Bellegarde. Saint-Paul, un de ses parents, l’arrêta pour lui conter quelque misère. « Adieu, adieu, lui dit-il, vous me faites brûler là pour cinq sous de flambeau, et ce que vous me dites ne vaut pas un carolus. »

Un sot lui fit avec emphase l’éloge d’une dame qui était présente, et finit par dire en la désignant de la main : « Voilà, monsieur, ce qu’a fait la vertu. » Malherbe promena les yeux sur la compagnie, et, apercevant la connétable de Lesdiguières : — « Voilà, dit-il, ce qu’a fait le vice. » Ce mot résume avec un laconisme effrayant le chapitre de Tallemant des Réaux qui porte en tête le nom de cette dame.

La misanthropie de Malherbe n’allait pas seulement aux vices de son temps, elle embrassait l’humanité tout entière : « Ne voilà-t-il pas un beau début ! disait-il après avoir raconté la mort d’Abel ; ils ne sont que trois ou quatre au monde, et ils s’entre-tuent déjà. Après cela que pouvait espérer Dieu des hommes pour se donner tant de peine à les conserver ? »

On doit bien penser que le ligueur se trahissait encore par moments sous la rude écorce du réformateur. Il y a de lui des mots qui le décèlent. Cette princesse de Condé, si ridiculement aimée par Henri IV, accoucha de deux enfants morts au bois de Vincennes, où elle était allée s’enfermer avec son mari. Beaucoup s’en affligeaient. « Ne vous souciez que de bien servir, leur disait Malherbe, les maîtres ne vous manqueront pas. »

Il y avait aussi chez lui de cette haine que les aristocraties ont toujours eue pour les favoris de bas lieu. Madame de Bellegarde se trouvant à la messe un jour que Malherbe venait la voir : « Eh ! qu’a-t-elle à de-