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POÉSIES.


De ces faits non communs la merveille profonde,
Qui par la main d’un seul étonnoit tout le monde,
Et tant d’autres encor, me devoient avertir
Que, si pour leur auteur j’endurois de l’outrage,
Le même qui les fit, en faisant davantage,
Quand on m’offenseroit me pouvoit garantir.

Mais, troublé par les ans, j’ai souffert que la crainte
Loin encore du mal, ait découvert ma feinte,
Et sortant promptement de mon sens et de moi,
Ne me suis aperçu qu’un destin favorable
M’offroit en ce danger un sujet honorable
D’acquérir par ma perte un triomphe à ma foi.

Que je porte d’envie à la troupe innocente
De ceux qui, massacrés d’une main violente,
Virent dès le matin leur beau jour accourci[1] !
Le fer qui les tua leur donna cette grace,
Que si de faire bien ils n’eurent pas l’espace,
Ils n’eurent pas le temps de faire mal aussi.

De ces jeunes guerriers la flotte vagabonde
Alloit courre fortune aux orages du monde,
Et déjà pour voguer abandonnoit le bord,
Quand l’aguet d’un pirate arrêta leur voyage ;

  1. Cette image charmante, et devenue commune, est exprimée de la manière la plus fraîche et la plus heureuse. Il suffit presque de ce mauvais poème-la pour voir que Malherbe était né à la poésie française. A. Chénier.