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LIVRE I.

Que faites-vous pour eux, si vous les regrettez ?
Vous fâchez leur repos, et vous rendez coupables,
Ou de n’estimer pas leurs trépas honorables,
Ou de porter envie à leurs félicités.

Le soir fut avancé de leurs belles journées[1] ;
Mais qu’eussent-ils gagné par un siècle d’années ?
Ou que leur avint-il en ce vite départ,
Que laisser promptement une basse demeure,
Qui n’a rien que du mal, pour avoir de bonne heure
Aux plaisirs éternels une éternelle part ?

Si vos yeux pénétrant jusqu’aux choses futures
Vous pouvoient enseigner leurs belles aventures,
Vous auriez tant de bien en si peu de malheurs,
Que vous ne voudriez pas pour l’empire du monde
N’avoir eu dans le sein la racine féconde
D’où naquit entre nous ce miracle de fleurs.

Mais moi, puisque les lois me défendent l’outrage
Qu’entre tant de langueurs me commande la rage,

  1. Le même vers que j’ai noté p. 11. Peut-être à cette source nous devons le vers divin de La Fontaine :
    « Rien ne trouble sa fin, c’est le soir d’un beau jour. »
    Pétrarque a dit en un vers délicieux, par la bouche de Laure :
    « E compi mia giornata inanzi sera. »
    >Et moi, dans une de mes élégies :
    « Je meurs : avant le soir j’ai fini ma journée. »
    A. Chénier.