Page:Poésies de Schiller.djvu/144

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du cheval ailé et du bœuf. Pégase se soumet à regret et tente un dernier effort pour prendre son vol, mais en vain ; le taureau marche d’un pas mesuré, et le coursier d’Apollon doit cheminer de même. Épuisé enfin par sa longue résistance, privé de ses forces et accablé de douleur, le noble animal tombe par terre et se roule dans la poussière.

« Maudite bête ! s’écria Jean en colère, et en faisant jouer le fouet, tu n’es donc pas même bon à labourer le sol ; j’ai été la dupe d’un fripon. »

Pendant qu’il exhale ainsi sa rage, un joyeux garçon passe gaiement sur la route : le luth résonne sous ses doigts légers et un ruban d’or pare sa blonde chevelure. « Que veux-tu donc faire, ami, dit-il au paysan, de ce couple étrange ? Soumettre à un même joug le bœuf et l’oiseau, quelle singulière idée ! confie-moi pour quelques instants ton cheval et regarde, tu vas voir des merveilles. »

L’hippogriffe est dételé, le jeune homme s’élance sur son dos en riant. À peine le coursier a-t-il senti la main assurée du maître, il tressaille, se relève et l’éclair jaillit de ses yeux. Ce n’est plus l’animal abattu par la fatigue, c’est un coursier royal, un esprit, un Dieu qui s’élance majestueusement au souffle de la tempête, qui s’en va vers le ciel : et tandis que les regards le cherchent encore, il plane dans les régions azurées.