Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/100

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— Je disais, dit l’intrus sans s’inquiéter de ces interrogations, je disais que j’avais tout le temps, que l’affaire pour laquelle je suis venu n’est point pressante ; bref, que je puis parfaitement attendre que vous ayez fini votre Exposé.

— Mon Exposé ? Eh bien mais, comment savez-vous, comment êtes-vous arrivé à savoir que j’écrivais un Exposé, bon Dieu ?

— Chut, répondit l’intrus à voix basse et aigüe.

Il se leva rapidement du lit et fit un pas vers Bon-Bon ; la lampe de fer qui pendait du plafond se mit à osciller par saccades à son approche.

Notre philosophe, bien que stupéfait, ne s’abstint pas cependant d’examiner le costume et l’apparence de l’étranger. Les lignes de sa personne, mince, mais d’une taille au-dessus du commun, saillissaient aux yeux par le menu, grâce à un costume noir et râpé qui collait étroitement à la peau, et qui semblait dater, pour la coupe, du siècle passé. Ces habits avaient évidemment été faits pour quelqu’un de bien moins grand que leur possesseur actuel. Aux poignets et aux chevilles, on apercevait la chair. Une paire de boucles brillantes aux souliers contrastaient avec la pauvreté extrême du reste. De la tête pendait une queue terriblement longue. Une paire de lunettes vertes, à verres de côté, protégeaient ses yeux contre la lumière et empêchaient Bon-Bon d’en discerner la forme et la couleur. Sur toute la personne de l’étranger, il n’y avait pas apparence de chemise. Mais une cravate blanche, mince, était nouée avec un soin extrême autour du cou ; les bouts en pendaient cérémonieusement tout droits et