Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/151

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d’alléger le navire en jetant à la mer ce qu’on put atteindre de la cargaison et en coupant les deux mâts qui restaient. Ceci nous l’accomplîmes. Mais nous restions sans pouvoir travailler aux pompes et la voie d’eau gagnait rapidement.

Au coucher du soleil, la tempête avait perdu de sa violence ; la mer se calmait, et nous entretenions encore quelque espoir de nous sauver dans les embarcations. À huit heures du soir, les nuées s’ouvrirent du côté du vent, et par bonheur nous eûmes la lumière de la lune qui était en son plein. Cette bonne aubaine nous servit admirablement à nous remettre le courage.

Après un travail incroyable, nous réussîmes enfin à descendre la grande chaloupe le long du navire sans accident. L’équipage entier et la plupart des passagers s’y empilèrent. Cette troupe partit immédiatement et, après avoir beaucoup souffert, arriva sans encombre à Ocrakoke Inlet, le troisième jour après le naufrage.

Quatorze passagers et le capitaine restaient à bord, résolus à tenter la chance dans le petit canot de la poupe. Nous le descendîmes sans difficulté, mais ce fut miracle qu’il ne sombra pas en touchant l’eau. Mis à flot, il suffit à contenir le capitaine et sa femme, Wyatt avec les siens, un officier mexicain, sa femme, ses quatre enfants, et moi-même avec mon valet de chambre nègre.

Nous n’avions pris naturellement avec nous que les habits sur notre peau, quelques instruments absolument nécessaires, des provisions, et rien de plus. Quel ne fut pas l’étonnement de tous, quand, à quelques brasses du navire, Wyatt se leva près de l’arrière et demanda avec