Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je commençai à ne plus trouver cela de mon goût. L’âme de Dieumedamne était dans un état périlleux. Je résolus de mettre toute mon éloquence en jeu pour la sauver ; je fis vœu de venir en aide à mon ami, comme St Patrick, à ce que racontent les chroniques irlandaises, vint en aide à un crapaud, quand, par un sermon, l’évêque réveilla la conscience endormie de cet animal. Je me mis immédiatement à l’œuvre. Encore une fois, je recourus aux remontrances et rassemblai toute mon énergie pour une tentative déprécatoire finale.

Quand j’eus terminé mon allocution, M. Dieumedamne se livra à une conduite extrêmement équivoque. Pendant quelques moments il resta silencieux, me regardant curieusement en face. Ensuite il inclina la tête de côté, et leva les sourcils à une grande hauteur ; il ouvrit les paumes de ses mains et haussa les épaules ; il cligna de l’œil droit et répéta la même opération avec le gauche ; il les ferma tous deux étroitement ; il les ouvrit si grands, que je m’alarmai pour ce qui allait en résulter ; il appliqua son pouce à son nez et crut devoir faire une pantomime indescriptible avec les autres doigts ; finalement, croisant ses bras, il condescendit à répondre.

Je ne puis me rappeler de son discours que les en-tête. Il me serait obligé, dit-il, si je tenais ma langue. Il ne désirait aucun de mes avis. Il méprisait toutes mes insinuations. Il était assez âgé pour se garder lui-même. Est-ce que je croyais qu’il était encore le petit Dieumedamne ? Est-ce que j’avais l’intention de rien dire contre sa réputation ? Est-ce que je voulais l’insulter ? Étais-je un sot ? Et, pour passer à un autre sujet, est-ce que ma mère savait