Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/167

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Si j’avais pulvérisé Dieumedamne au moyen d’une bombe Paixhans, ou si je lui avais jeté à la tête le Poètes et Poésies de l’Amérique, il aurait pu à peine prendre un air plus déconfit que quand je lui adressai ces simples paroles : Dieumedamne, que faites-vous ? N’entendez-vous pas ? Ce Monsieur a dit « bon. »

— Allons donc, vraiment ! murmura-t-il enfin, après avoir changé de couleur, plus souvent qu’un vaisseau pirate poursuivi par un navire de guerre, n’arbore de pavillons. Êtes-vous bien sûr qu’il ait dit cela ? Eh bien, en tout cas, j’y suis, et il vaut autant faire bonne mine. Allons-y. « Bon, » dit-il.

En entendant cela, le vieux Monsieur sembla réjoui, Dieu seul sait pourquoi. Il quitta son encoignure, s’avança en clopinant, prit gracieusement la main de Dieumedamne et la secoua cordialement, le regardant en face avec un air de bienveillance sans mélange.

— Je suis parfaitement sûr que vous gagnerez, Dieumedamne, dit-il avec le plus franc des sourires ; mais nous sommes obligés d’en passer par l’épreuve, vous savez, par pure forme.

— Bon, répliqua mon ami en ôtant sa veste avec un profond soupir, et attachant un mouchoir autour de sa ceinture. Il avait modifié sa physionomie d’une façon indescriptible en remontant les coins de ses paupières, et en abaissant ceux de ses lèvres.

— Bon.

Il répéta ensuite encore une fois « bon » et depuis je ne lui ai pas entendu dire un mot de plus.

Oh, oh, pensai-je à part moi, voilà un mutisme bien