Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/170

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temps d’y réfléchir. Car Dieumedamne restait étendu sur le carreau plus tranquillement que ce n’était son habitude. J’en conclus que ses sentiments avaient été froissés, et qu’il avait besoin de mon assistance. Je me hâtai d’aller à lui. Je trouvai alors qu’il avait reçu ce qu’on peut appeler une blessure grave. Le fait est qu’il n’avait plus sa tête et que je ne pus la retrouver nulle part, quoique je l’aie bien cherchée. De sorte que je me déterminai à le ramener chez lui, et à faire appeler les homéopathes.

Sur ces entrefaites il me vint une idée. J’allai ouvrir une des baies du pont et la triste vérité m’apparut. Environ à cinq pieds, juste au-dessus du tourniquet, et transversalement, était une barre de fer plate, posée de champ sur sa largeur, et faisant partie d’un système de barres semblables destinées à rendre la toiture du pont plus solide. Il me parut évident que le cou de mon malheureux ami avait précisément rencontré le tranchant de cette traverse.

Le pauvre Dieumedamne ne survécut pas longtemps à sa terrible lésion. Les homéopathes ne lui donnèrent pas assez peu de médecine, et ce qu’ils lui donnèrent, il hésita à le prendre. De sorte que finalement son état empira, et qu’il mourut, exemple effrayant pour tous les marmots mal embouchés. J’humectai sa tombe de mes larmes, je mis le deuil à mon écusson de famille, et quant aux frais généraux des funérailles, j’en envoyai la note modérée aux transcendantalistes. Ces coquins refusèrent de me payer. Je fis immédiatement exhumer Dieumedamne et vendis son cadavre pour de la viande à chien.