Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/61

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lent les précautions contre la destinée ! Toutes les miennes, si bien combinées, ne devaient pas sauver des dernières agonies un malheureux condamné à être enterré vif.

Une fois, je me trouvai passant, comme cela m’était souvent arrivé, d’une inconscience totale dans le premier sentiment faible et indéfini de mon existence. Lentement, avec la marche d’une tortue, arrivait la faible lueur grise de la lumière mentale. Un malaise torpide, le sentiment apathique d’une souffrance sourde, pas d’inquiétude, pas d’espérance, pas d’effort. Puis, après un long intervalle, un tintement dans les oreilles ; puis, après une durée plus longue encore, une sensation de fourmillement aux extrémités. Ensuite, une période comme éternelle de repos voluptueux, pendant lequel mes sensations renaissantes travaillaient à se façonner en pensées. Encore une lourde rechûte dans l’inconscience, un retour soudain, enfin le léger tremblotement de la paupière, et, immédiatement, un choc électrique de terreur mortelle qui chassa le sang du cœur aux tempes, furieusement.

Alors je fis le premier effort positif pour penser, la première tentative pour me ressouvenir. Le succès fut d’abord partiel et éphémère, puis la mémoire revint peu à peu, et j’eus, en quelque mesure, connaissance de mon état. Je sens que je ne sors pas de mon sommeil ordinaire. Je me rappelle que je suis sujet à la catalepsie, et maintenant enfin, de l’élan de toute une mer, s’abat sur mon esprit frémissant l’idée du danger effroyable, la vision spectrale et toujours prévalente de mon inhumation prématurée.