Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/70

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dût en venir à aimer quelqu’un qui me ressemblait aussi peu, c’était un mal fatal et naturel. Je suis, on le sait, d’une apparence robuste et corpulente, d’une stature quelque peu diminutive. Qu’y avait-il donc d’étonnant à ce que la ténuité en lame de couteau de mon ami, et son altitude qui était devenue proverbiale, trouvassent toute grâce aux yeux de Mme Pasdesouffle ?

Mais revenons à notre sujet. Mes efforts, comme je l’ai dit, furent vains. Armoire après armoire, tiroir après tiroir, recoin après recoin, je scrutai tout, sans résultat. Le cœur gros, je revins dans mon cabinet pour réfléchir. Je cherchai le moyen d’éluder la perspicacité de ma femme, jusqu’à ce que j’eusse achevé mes préparatifs de départ. Car j’étais déterminé à quitter le pays. Sous un ciel étranger, inconnu, je pourrais avec quelque chance de succès, tâcher de dissimuler ma malheureuse infirmité, faite, plus que la mendicité, pour m’ôter l’affection de la foule et attirer sur moi, misérable, l’animadversion bien méritée des gens vertueux et heureux. Je n’hésitai pas longtemps. Étant naturellement actif, je me mis en mémoire toute la tragédie Matamora. J’eus la bonne fortune de me rappeler que, dans la déclamation de ce drame, ou, tout au moins, du rôle réservé au protagoniste, les tons de voix dont je me trouvais manquer n’étaient nullement requis. La profondeur gutturale devait y régner en toute monotonie.

Je m’exerçai quelque temps au bord d’un marais bien peuplé, sans songer pour cela au procédé similaire de Démosthène, mais bien dans un dessein qui m’appartenait particulièrement et consciencieusement en propre