Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/85

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Je me rappelle les sentiments de curiosité que souleva son arrivée aux bâtiments universitaires, dans la nuit du 25 juin. Je me rappelle plus distinctement encore que tous les étudiants, à première vue, le déclarèrent l’homme le plus étrange au monde, sans que personne tentât de motiver cette opinion. La disparité de Ritzner semblait si indéniable, que l’on trouvait impertinente la recherche de ce qui faisait le distinguer. Mais laissons ceci. Je veux simplement dire que, du premier moment où le baron parut à G-n, il exerça sur les habitudes, les manières, la personne, les dépenses, les goûts de toute la communauté l’influence la plus étendue, la plus despotique, mais en même temps la plus mal définie et la plus inexplicable. C’est ainsi que la courte période de son séjour fit ère dans les annales de l’université, et s’appelle pour tous ceux qui y appartiennent ou en dépendent, « l’époque très-extraordinaire où dominait le baron Ritzner von Yung ».

Dès son arrivée à G-n, celui-ci vint me voir à mes chambres. Il ne marquait pas d’âge à cette époque, par quoi je veux dire que son âge n’était décelé par aucune trace extérieure. Il aurait pu avoir de 20 à quarante ans, et en avait en réalité 21. Il n’était nullement un bel homme ; peut-être bien, semblait-il le contraire. Le contour de son visage était anguleux et rude. Son front était haut et très-blanc ; son nez était camus ; ses yeux, grands, lourds, vitreux, inexpressifs. La bouche était digne de plus de remarque. Les lèvres en étaient saillantes et reposaient l’une sur l’autre d’une façon telle qu’il est impossible de concevoir aucune