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Page:Poe - Derniers Contes.djvu/334

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Quoique humaine, tu ne m’as pas trompé ;
Quoique femme, tu ne m’as point délaissé ;
Quoique aimée, tu as craint de m’affliger ;
Quoique calomniée, jamais tu ne t’es laissée ébranler ;
Quoique ayant ma confiance, tu ne m’as jamais renié ;
Si tu t’es séparée de moi, ce n’était pas pour fuir ;
Si tu veillas sur moi, ce n’était pas pour me diffamer ;
Si tu restas muette, ce n’était pas pour donner au monde le droit de me condamner.

Cependant je ne blâme pas le monde, ni ne le méprise,
Pas plus que la guerre déclarée par tous à un seul.
Si mon âme n’était pas faite pour l’apprécier,
Ce fut une folie de ne pas le fuir plus tôt :
Et si cette erreur m’a coûté cher,
Et plus que je n’aurais jamais pu le prévoir,
J’ai trouvé que malgré tout ce qu’elle m’a fait perdre,
Elle n’a jamais pu me priver de toi.

Du naufrage du passé, disparu pour moi,
Je puis au moins retirer une grande leçon,
Il m’a appris que ce que je chérissais le plus
Méritait d’être chéri de moi par dessus tout ;
Dans le désert jaillit une source,
Dans l’immense steppe il y a encore un arbre,
Et un oiseau qui chante dans la solitude
Et parle à mon âme de toi.


Quoique le rythme de ces vers soit un des plus difficiles, on pourrait à peine trouver quelque chose à redire à la versification. Jamais plus noble thème n’a tenté la plume d’un poète. C’est l’idée, éminemment propre à élever l’âme, qu’aucun homme ne peut s’attribuer le droit de se plaindre de la destinée dans le malheur,