Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/31

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plus que tous les hommes ce merveilleux privilége attribué à la femme parisienne et à l’Espagnole, de savoir se parer avec un rien, et que Poe, amoureux du beau en toutes choses, aurait trouvé l’art de transformer une chaumière en un palais d’une espèce nouvelle. N’a-t-il pas écrit, avec l’esprit le plus original et le plus curieux, des projets de mobiliers, des plans de maisons de campagne, de jardins et de réformes de paysages ?

Il existe une lettre charmante de madame Frances Osgood, qui fut une des amies de Poe, et qui nous donne sur ses mœurs, sur sa personne et sur sa vie de ménage, les plus curieux détails. Cette femme, qui était elle-même un littérateur distingué, nie courageusement tous les vices et toutes les fautes reprochés au poëte.

« Avec les hommes, dit-elle à Griswold, peut-être était-il tel que vous le dépeignez, et comme homme vous pouvez avoir raison. Mais je pose en fait qu’avec les femmes il était tout autre, et que jamais femme n’a pu connaître M. Poe sans éprouver pour lui un profond intérêt. Il ne m’a jamais apparu que comme un modèle d’élégance, de distinction et de générosité…

» La première fois que nous nous vîmes, ce fut à Astor-House. Willis m’avait fait passer à table d’hôte le Corbeau, sur lequel l’auteur, me dit-il, désirait connaître mon opinion. La musique mystérieuse et surnaturelle de ce poëme étrange me pénétra si intimement, que, lorsque j’appris que Poe désirait m’être présenté, j’éprouvai un sentiment singulier et qui ressemblait à de l’effroi. Il parut avec sa belle et orgueilleuse tête, ses yeux sombres qui dardaient une lumière d’élection, une lumière de sentiment et de pensée, avec ses manières qui étaient un mélange intraduisible de hauteur et de suavité, — il me salua, calme, grave, presque froid ; mais sous