Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/336

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chagrin était de penser que je ne pourrais jamais raconter à mes vieux camarades les mystères que j’allais connaître. C’étaient là, sans doute, de singulières pensées pour occuper l’esprit d’un homme dans une pareille extrémité, — et j’ai souvent eu l’idée depuis lors que les évolutions du bateau autour du gouffre m’avaient un peu étourdi la tête.

» Il y eut une autre circonstance qui contribua à me rendre maître de moi-même ; ce fut la complète cessation du vent, qui ne pouvait plus nous atteindre dans notre situation actuelle : — car, comme vous pouvez en juger par vous-même, la ceinture d’écume est considérablement au-dessous du niveau général de l’Océan, et ce dernier nous dominait maintenant comme la crête d’une haute et noire montagne. Si vous ne vous êtes jamais trouvé en mer par une grosse tempête, vous ne pouvez vous faire une idée du trouble d’esprit occasionné par l’action simultanée du vent et des embruns. Cela vous aveugle, vous étourdit, vous étrangle et vous ôte toute faculté d’action ou de réflexion. Mais nous étions maintenant grandement soulagés de tous ces embarras, — comme ces misérables condamnés à mort, à qui on accorde dans leur prison quelques petites faveurs qu’on leur refusait tant que l’arrêt n’était pas prononcé.

» Combien de fois fîmes-nous le tour de cette ceinture, il m’est impossible de le dire. Nous courûmes tout autour, pendant une heure à peu près ; nous volions plutôt que nous ne flottions, et nous nous rapprochions