Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/37

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ayant ainsi recours à son vice pour se débarrasser d’un parjure envers la pauvre morte dont l’image vivait toujours en lui et qu’il avait admirablement chantée dans son Annabel Lee. Je considère donc, dans un grand nombre de cas, le fait infiniment précieux de préméditation comme acquis et constaté.

Je lis d’autre part, dans un long article du Southern Literary Messenger, — cette même revue dont il avait commencé la fortune, — que jamais la pureté, le fini de son style, jamais la netteté de sa pensée, jamais son ardeur au travail, ne furent altérés par cette terrible habitude ; que la confection de la plupart de ses excellents morceaux a précédé ou suivi une de ses crises ; qu’après la publication d’Eureka, il sacrifia déplorablement à son penchant, et qu’à New-York, le matin même où paraissait le Corbeau, pendant que le nom du poëte était dans toutes les bouches, il traversait Broadway en trébuchant outrageusement. Remarquez que les mots : précédé ou suivi, impliquent que l’ivresse pouvait servir d’excitant aussi bien que de repos.

Or, il est incontestable que — semblables à ces impressions fugitives et frappantes, d’autant plus frappantes dans leurs retours qu’elles sont plus fugitives, qui suivent quelquefois un symptôme extérieur, une espèce d’avertissement comme un son de cloche, une note musicale ou un parfum oublié, et qui sont elles-mêmes suivies d’un événement semblable à un événement déjà connu et qui occupait la même place dans une chaîne antérieurement révélée, — semblables à ces singuliers rêves périodiques qui fréquentent nos sommeils, — il existe dans l’ivresse non-seulement des enchaînements de rêves, mais des séries de raisonnements, qui ont besoin, pour se reproduire, du milieu qui leur a donné naissance. Si le lecteur m’a suivi sans répugnance, il a déjà deviné ma conclusion : je crois que, dans beaucoup de cas, non pas certai-