Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/382

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— sa bouche, large et flexible, et ses dents, quoique saines, plus irrégulières que je n’en vis jamais dans aucune bouche humaine. L’expression de son sourire, toutefois, n’était nullement désagréable, comme on pourrait le supposer ; mais elle n’avait aucune espèce de nuance. C’était une profonde mélancolie, une tristesse sans phases et sans intermittences. Ses yeux étaient d’une largeur anormale et ronds comme ceux d’un chat. Les pupilles elles-mêmes subissaient une contraction et une dilatation proportionnelles à l’accroissement et à la diminution de la lumière, exactement comme on l’a observé dans les races félines. Dans les moments d’excitation, les prunelles devenaient brillantes à un degré presque inconcevable et semblaient émettre des rayons lumineux d’un éclat non réfléchi, mais intérieur, comme fait un flambeau ou le soleil ; toutefois, dans leur condition habituelle, elles étaient tellement ternes, inertes et nuageuses, qu’elles faisaient penser aux yeux d’un corps enterré depuis longtemps.

Ces particularités personnelles semblaient lui causer beaucoup d’ennui, et il y faisait continuellement allusion dans un style semi-explicatif, semi-justificatif, qui, la première fois que je l’entendis, m’impressionna très-péniblement. Toutefois, je m’y accoutumai bientôt, et mon déplaisir se dissipa. Il semblait avoir l’intention d’insinuer, plutôt que d’affirmer positivement, que physiquement il n’avait pas toujours été ce qu’il était ; qu’une longue série d’attaques névralgiques l’avait réduit d’une condition de beauté personnelle