Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/410

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

à sa famille, — très-certainement elle m’en a parlé. Qu’elle fût d’une date excessivement ancienne, je n’en fais aucun doute. — Ligeia ! Ligeia ! — Plongé dans des études qui par leur nature sont plus propres que toute autre à amortir les impressions du monde extérieur, — il me suffit de ce mot si doux, — Ligeia ! — pour ramener devant les yeux de ma pensée l’image de celle qui n’est plus. Et maintenant, pendant que j’écris, il me revient, comme une lueur, que je n’ai jamais su le nom de famille de celle qui fut mon amie et ma fiancée, qui devint mon compagnon d’études, et enfin l’épouse de mon cœur. Était-ce par suite de quelque injonction folâtre de ma Ligeia, — était-ce une preuve de la force de mon affection, que je ne pris aucun renseignement sur ce point ? Ou plutôt était-ce un caprice à moi, — une offrande bizarre et romantique sur l’autel du culte le plus passionné ? Je ne me rappelle le fait que confusément ; — faut-il donc s’étonner si j’ai entièrement oublié les circonstances qui lui donnèrent naissance ou qui l’accompagnèrent ? Et, en vérité, si jamais l’esprit de roman, — si jamais la pâle Ashtophet de l’idolâtre Égypte, aux ailes ténébreuses, ont présidé, comme on dit, aux mariages de sinistre augure, — très-sûrement ils ont présidé au mien.

Il est néanmoins un sujet très-cher sur lequel ma mémoire n’est pas en défaut. C’est la personne de Ligeia. Elle était d’une grande taille, un peu mince, et même dans les derniers jours très-amaigrie. J’essayerais en vain de dépeindre la majesté, l’aisance tranquille de sa