Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/413

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tervalles des moments d’excessive animation, que cette particularité devenait singulièrement frappante. Dans ces moments-là, sa beauté était — du moins, elle apparaissait telle à ma pensée enflammée, — la beauté de la fabuleuse houri des Turcs. Les prunelles étaient du noir le plus brillant et surplombées par des cils de jais très-longs ; ses sourcils, d’un dessin légèrement irrégulier, avaient la même couleur ; toutefois, l’étrangeté que je trouvais dans les yeux était indépendante de leur forme, de leur couleur et de leur éclat, et devait décidément être attribuée à l’expression. Ah ! mot qui n’a pas de sens ! un pur son ! vaste latitude où se retranche toute notre ignorance du spirituel ! L’expression des yeux de Ligeia !… Combien de longues heures ai-je médité dessus ! combien de fois, durant toute une nuit d’été, me suis-je efforcé de les sonder ! Qu’était donc ce je ne sais quoi, ce quelque chose plus profond que le puits de Démocrite, qui gisait au fond des pupilles de ma bien-aimée ? Qu’était cela ?… J’étais possédé de la passion de le découvrir. Ces yeux ! ces larges, ces brillantes, ces divines prunelles ! elles étaient devenues pour moi les étoiles jumelles de Léda, et moi, j’étais pour elles le plus fervent des astrologues.

Il n’y a pas de cas parmi les nombreuses et incompréhensibles anomalies de la science psychologique, qui soit plus excitant que celui, — négligé, je crois, dans les écoles, — où, dans nos efforts pour ramener dans notre mémoire une chose oubliée depuis longtemps, nous nous trouvons sur le bord