Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/415

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exemples, je me rappelle fort bien quelque chose dans un volume de Joseph Glanvill, qui, peut-être simplement à cause de sa bizarrerie, — qui sait ? — m’a toujours inspiré le même sentiment : « Et il y a là dedans la volonté qui ne meurt pas. Qui donc connaît les mystères de la volonté, ainsi que sa vigueur ? car Dieu n’est qu’une grande volonté pénétrant toutes choses par l’intensité qui lui est propre ; l’homme ne cède aux anges et ne se rend entièrement à la mort que par l’infirmité de sa pauvre volonté. »

Par la suite des temps et par des réflexions subséquentes, je suis parvenu à déterminer un certain rapport éloigné entre ce passage du philosophe anglais et une partie du caractère de Ligeia. Une intensité singulière dans la pensée, dans l’action, dans la parole, était peut-être en elle le résultat ou au moins l’indice de cette gigantesque puissance de volition qui, durant nos longues relations, eût pu donner d’autres et plus positives preuves de son existence. De toutes les femmes que j’ai connues, elle, la toujours placide Ligeia, à l’extérieur si calme, était la proie la plus déchirée par les tumultueux vautours de la cruelle passion. Et je ne pouvais évaluer cette passion que par la miraculeuse expansion de ces yeux qui me ravissaient et m’effrayaient en même temps, par la mélodie presque magique, la modulation, la netteté et la placidité de sa voix profonde, et par la sauvage énergie des étranges paroles qu’elle prononçait habituellement, et dont l’effet était doublé par le contraste de son débit.