Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/51

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sions, nous écrivions, ou nous causions, jusqu’à ce que la pendule nous avertît du retour de la véritable obscurité. Alors, nous nous échappions à travers les rues, bras dessus bras dessous, continuant la conversation du jour, rôdant au hasard jusqu’à une heure très-avancée, et cherchant à travers les lumières désordonnées et les ténèbres de la populeuse cité ces innombrables excitations spirituelles que l’étude paisible ne peut pas donner.

Dans ces circonstances, je ne pouvais m’empêcher de remarquer et d’admirer, — quoique la riche idéalité dont il était doué eût dû m’y préparer, — une aptitude analytique particulière chez Dupin. Il semblait prendre un délice âcre à l’exercer, — peut-être même à l’étaler, — et avouait sans façon tout le plaisir qu’il en tirait. Il me disait à moi, avec un petit rire tout épanoui, que bien des hommes avaient pour lui une fenêtre ouverte à l’endroit de leur cœur, et d’habitude il accompagnait une pareille assertion de preuves immédiates et des plus surprenantes, tirées d’une connaissance profonde de ma propre personne.

Dans ces moments-là, ses manières étaient glaciales et distraites ; ses yeux regardaient dans le vide, et sa voix, — une riche voix de ténor, habituellement, — montait jusqu’à la voix de tête ; c’eût été de la pétulance, sans l’absolue délibération de son parler et la parfaite certitude de son accentuation. Je l’observais dans ses allures, et je rêvais souvent à la vieille philosophie de l’âme double, — je m’amusais à l’idée d’un Dupin