Page:Poe - Histoires grotesques et sérieuses.djvu/337

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Poëme singulier entre tous. Il roule sur un mot mystérieux et profond, terrible comme l’infini, que des milliers de bouches crispées ont répété depuis le commencement des âges, et que par une triviale habitude de désespoir plus d’un rêveur a écrit sur le coin de sa table pour essayer sa plume : Jamais plus ! De cette idée, l’immensité, fécondée par la destruction, est remplie du haut en bas, et l’Humanité, non abrutie, accepte volontiers l’Enfer, pour échapper au désespoir irrémédiable contenu dans cette parole.

Dans le moulage de la prose appliqué à la poésie, il y a nécessairement une affreuse imperfection ; mais le mal serait encore plus grand dans une singerie rimée. Le lecteur comprendra qu’il m’est impossible de lui donner une idée exacte de la sonorité profonde et lugubre, de la puissante monotonie de ces vers, dont les rimes larges et triplées sonnent comme un glas de mélancolie. C’est bien là le poëme de l’insomnie du désespoir ; rien n’y manque : ni la fièvre des idées, ni la violence des couleurs, ni le raisonnement maladif, ni la terreur radoteuse, ni même cette gaieté bizarre de la douleur qui la