Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/17

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plus infatuée d’elle-même qu’aucune autre, a vu clairement, a imperturbablement affirmé la méchanceté naturelle de l’homme. Il y a dans l’homme, dit-il, une force mystérieuse dont la philosophie moderne ne veut pas tenir compte ; et cependant, sans cette force innommée, sans ce penchant primordial, une foule d’actions humaines resteront inexpliquées, inexplicables. Ces actions n’ont d’attrait que parce que elles sont mauvaises, dangereuses ; elles possèdent l’attirance du gouffre. Cette force primitive, irrésistible, est la Perversité naturelle, qui fait que l’homme est sans cesse et à la fois homicide et suicide, assassin et bourreau ; — car, ajoute-t-il, avec une subtilité remarquablement satanique, l’impossibilité de trouver un motif raisonnable suffisant pour certaines actions mauvaises et périlleuses, pourrait nous conduire à les considérer comme le résultat des suggestions du Diable, si l’expérience et l’histoire ne nous enseignaient pas que Dieu en tire souvent l’établissement de l’ordre et le châtiment des coquins ; — après s’être servi des mêmes coquins comme de complices ! tel est le mot qui se glisse, je l’avoue, dans mon esprit, comme un sous-entendu aussi perfide qu’inévitable. Mais je ne veux, pour le présent, tenir compte que de la grande vérité oubliée, — la perversité primordiale de l’homme, — et ce n’est pas sans une certaine satisfaction que je vois quelques épaves de l’antique sagesse nous revenir d’un pays d’où on ne les attendait pas. Il est agréable que quelques explosions de vieille vérité sautent ainsi au visage de tous ces complimenteurs de l’humanité, de tous ces dorloteurs et endormeurs qui répètent sur toutes les variations possibles de ton : « Je suis né bon, et vous aussi, et nous tous, nous sommes nés bons ! » oubliant, non ! feignant d’oublier, ces égalitaires à contresens, que nous sommes tous nés marqués pour le mal !

De quel mensonge pouvait-il être dupe, celui qui parfois — douloureuse nécessité des milieux — les ajustait si bien ? Quel mépris pour la philosophaillerie, dans ses bons jours, dans les jours où il était, pour ainsi dire, illuminé ! Ce poète, de qui plusieurs fictions semblent faites à plaisir pour confirmer la prétendue omnipotence de l’homme, a voulu quelquefois se purger lui-même. Le jour où il écrivait : « Toute certitude est dans les rêves », il refoulait son