Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/188

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sion ; c’est un charlatanisme pour agir sur les millionnaires anglais et autrichiens. En fait de peintures et de pierres précieuses, Fortunato, comme ses compatriotes, était un charlatan ; mais, en matière de vieux vins, il était sincère. À cet égard, je ne différais pas essentiellement de lui ; j’étais moi-même très entendu dans les crus italiens, et j’en achetais considérablement toutes les fois que je le pouvais.

Un soir, à la brune, au fort de la folie du carnaval, je rencontrai mon ami. Il m’accosta avec une très chaude cordialité, car il avait beaucoup bu. Mon homme était déguisé. Il portait un vêtement collant et mi-parti, et sa tête était surmontée d’un bonnet conique avec des sonnettes. J’étais si heureux de le voir, que je crus que je ne finirais jamais de lui pétrir la main. Je lui dis :

« Mon cher Fortunato, je vous rencontre à propos. Quelle excellente mine vous avez aujourd’hui !… — Mais j’ai reçu une pipe d’amontillado, ou du moins d’un vin qu’on me donne pour tel, et j’ai des doutes.

— Comment, dit-il, de l’amontillado ? Une pipe ? Pas possible ! — Et au milieu du carnaval !

— J’ai des doutes, répliquai-je, et j’ai été assez bête pour payer le prix total de l’amontillado sans vous consulter. On n’a pas pu vous trouver, et je tremblais de manquer une occasion.

— De l’amontillado !

— J’ai des doutes.

— De l’amontillado !

— Et je veux les tirer au clair.

— De l’amontillado !

— Puisque vous êtes invité quelque part, je vais chercher Luchesi. Si quelqu’un a le sens critique, c’est lui. Il me dira…

— Luchesi est incapable de distinguer l’amontillado du xérès.