Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/288

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pour l’homme, purgé par la Mort, — pour l’homme dont l’intelligence ennoblie ne trouverait plus un poison dans la science, — pour l’homme racheté, régénéré, béatifié, désormais immortel, et cependant encore revêtu de matière.

una. — Oui, je me rappelle bien ces conversations, cher Monos ; mais l’époque du feu destructeur n’était pas aussi proche que nous nous l’imaginions, et que la corruption dont tu parles nous permettait certainement de le croire. Les hommes vécurent, et ils moururent individuellement. Toi-même, vaincu par la maladie, tu as passé par la tombe, et ta constante Una t’y a promptement suivi ; et, bien que nos sens assoupis n’aient pas été torturés par l’impatience et n’aient pas souffert de la longueur du siècle qui s’est écoulé depuis et dont la révolution finale nous a rendus l’un à l’autre, cependant, cher Monos, cela a fait encore un siècle.

monos. — Dis plutôt un point dans le vague infini. Incontestablement, ce fut pendant la décrépitude de la Terre que je mourus. Le cœur fatigué d’angoisses qui tiraient leur origine du désordre et de la décadence générale, je succombai à la cruelle fièvre. Après un petit nombre de jours de souffrance, après maints jours pleins de délire, de rêves et d’extases dont tu prenais l’expression pour celle de la douleur, pendant que je ne souffrais que de mon impuissance à te détromper, — après quelques jours, je fus, comme tu l’as dit, pris par une léthargie sans souffle et sans mouvement, et ceux qui m’entouraient dirent que c’était la Mort.

Les mots sont choses vagues. Mon état ne me privait pas de sentiment ; il ne me paraissait pas très différent de l’extrême quiétude de quelqu’un qui, ayant dormi longtemps et profondément, immobile, prostré dans l’accablement de l’ardent solstice, commence à rentrer lentement dans la conscience de lui-même ; il y glisse, pour ainsi dire, par le seul fait de l’insuffisance de son sommeil, et sans être éveillé par le mouvement extérieur.