Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme un poids énorme, et elle était palpable. Il y avait aussi un son lugubre, assez semblable à l’écho lointain du ressac de la mer, mais plus soutenu, qui, commençant dès le crépuscule, s’était accru avec les ténèbres. Soudainement des lumières furent apportées dans la chambre, et aussitôt cet écho prolongé s’interrompit, se transforma en explosions fréquentes, inégales, de même son, mais moins lugubre et moins distinct. L’écrasante oppression était en grande partie allégée ; et je sentis, jaillissant de la flamme de chaque lampe, — car il y en avait plusieurs, — un chant d’une monotonie mélodieuse couler incessamment dans mes oreilles. Et, quand, approchant alors, chère Una, du lit sur lequel j’étais étendu, tu t’assis gracieusement à mon côté, soufflant le parfum de tes lèvres exquises, et les appuyant sur mon front, — quelque chose s’éleva dans mon sein, quelque chose de tremblant, de confondu avec les sensations purement physiques engendrées par les circonstances, quelque chose d’analogue à la sensibilité elle-même, — un sentiment qui appréciait à moitié ton ardent amour et ta douleur, et leur répondait à moitié ; mais cela ne prenait pas racine dans le cœur paralysé ; cela semblait plutôt une ombre qu’une réalité ; cela s’évanouit promptement, d’abord dans une extrême quiétude, puis dans un plaisir purement sensuel comme auparavant.

Et alors, du naufrage et du chaos des sens naturels parut s’élever en moi un sixième sens, absolument parfait. Je trouvais dans son action un étrange délice, — un délice toujours physique toutefois, l’intelligence n’y prenant aucune part. Le mouvement dans l’être animal avait absolument cessé. Aucune fibre ne tremblait, aucun nerf ne vibrait, aucune artère ne palpitait. Mais il me semblait que dans mon cerveau était né ce quelque chose, dont aucuns mots ne peuvent traduire à une intelligence purement humaine une conception même confuse. Permets-moi de définir cela : vibration du pendule mental. C’était la personnification morale de l’idée humaine abstraite