Page:Poictevin - Songes, 1887-1888.djvu/13

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Tandis que le papier chez la maman avait des raies rouges toutes foncées imitant le velours, lui faisait l’effet aux mains, partout, comme quand on scie la pierre ; quoique irritée, cette tapisserie aussi elle voulait la toucher.

Or, il y avait bien des meubles en chêne, une commode avec des empoignes de cuivre, dans la chambre de la mère. Licette pouvait voir ces meubles à gogo ; elle n’y donnait guère d’attention. La chambre de tante Isabelle, un peu impénétrable, seule offrait des singularités. Son habitante brodait des nappes d’autel. La petite, une fois, y avait aperçu une draperie en moiré blanche, déployée, occupant à terre presque toute la pièce, et au milieu c’était un superbe cœur rouge brodé, avec des rayons d’or autour. Un don pour l’église. Elle faisait des cadeaux à l’église, tante Isabelle ! Et puis, ce crucifix en ivoire tout jaune, dans un cadre noir au-dessus du prie-Dieu, et surtout cette Vierge toute entourée d’anges, cette Vierge qu’elle sentait vaguement, réellement ressemblante avec sa tante, tout à fait ressemblante quand celle-ci avait les cheveux défaits, avec son air grandiose, qu’elle goûtait toutes les fois quoique à la dérobée. Cette Vierge lui restait inexpliquée comme sa tante, c’était dans sa recherche un double dont elle ne parvenait pas à constituer l’unité.

Cette taille mince, ronde, qui tenait dans les mains, ces cheveux noirs, ces yeux noirs dans ce teint mat, ces mains où on aurait compté toutes les veines pas saillantes, mais si bleues ! dans le monde il ne devait pas exister de dame plus belle. C’était elle qui avait peint ces tableaux, se penchant dans des cadres dorés, un avec des chevaux, auprès d’eux une jeune paysanne, un autre où une roche, des arbres près le village étaient représentés au point qu’on s’y croyait. Et la cravache noire brillante, sur une chaise, servant à la tante pour « fustiger » le cheval blanc, rétif à la selle.

À sept ans, elle a pris des leçons au piano de cette chambre. Ce piano, l’avait-elle considéré avec préoccupation jusque-là, la tenait-il sur le seuil, quand la tante y jouait ! Maintenant, elle pose les doigts sur les touches avec une gêne. L’hiver, après avoir tripoté dans la neige, ils sont tout rouges auprès des mains encore plus blanches de la tante. Il semble à la fillette que tout remue dans sa figure, que par-dessous la peau un tas de petites bêtes la piquent. Les larmes vont venir, et il ne faut pas. Qu’elle se sauverait avec joie ! En dessous elle observe sa figure élargie, toute plate, dans le « couvercle » relevé, mais la tante là-dedans reste belle.

Dans le fait, Mlle  Isabelle, restée jusqu’à dix-neuf ans au couvent, avait pris là ses habitudes de vie. Des partis proposés par sa famille, elle les dédaignait, offensée qu’on puisse vouloir qu’elle déparage. Bref, un jour, sans que personne s’en doutât, elle devint grosse du fils du banquier. Et, quoique il lui offrit de l’épouser, tout d’un coup elle partit oubliant sa sacoche. On dut la lui envoyer à un autre endroit