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voulu, nous a-t-il confié lui-même dans ses mémoires[1], marcher immédiatement contre l’Italie ou exiger un dédommagement. Il récrivit au comte d’Aehrenthal, en déclarant qu’à son avis la monarchie austro-hongroise était plus gravement touchée par cette affaire que l’Allemagne par l’action française au Maroc. Mais l’engagement pris par l’Autriche envers l’Italie était irrévocable et le comte d’Aehrenthal repoussa les tentations du Feld-Marschall.

Pour faire ses préparatifs, l’Italie s’entoura de mystère. À Constantinople, le grand vizir Hakki Pacha, ancien ambassadeur à Rome, ne s’attendait nullement à la guerre. L’ambassadeur d’Allemagne auprès de la Porte, le baron Marschall von Bieberstein, dont l’influence était souveraine en Turquie, garantissait le maintien de la paix. La confiance était telle que les Jeunes-Turcs venaient de rappeler de Tripolitaine trois bataillons et un régiment de cavalerie. Mais les erreurs et les maladresses du gouvernement ottoman avaient, depuis longtemps déjà, fourni à l’Italie des motifs d’intervention. Le Banco di Roma, qui avait fondé à Tripoli et dans plusieurs localités du vilayet des établissements de tout genre, huileries, savonneries, perleries, usines électriques, s’était heurté à tant de mauvaise volonté des fonctionnaires turcs qu’il se plaignait d’être condamné à liquider ces entreprises. Des Italiens avaient été insultés et menacés dans des ports tripolitains. C’en était assez pour que, le 25 septembre 1911, le chargé d’affaires d’Italie pût remettre à la Porte une note où il protestait contre le péril auquel le fana-

  1. Aus meiner Dienstzeit, Wien, vol. II, p. 174.