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LA COMMISSION DU SÉNAT

du Croissant rouge. Les deux incidents étaient donc réglés à la satisfaction de la France sans aucune blessure pour l’amour-propre italien. Mais la presse allemande, autrichienne et hongroise ne laissa pas échapper l’occasion de jeter quelques mauvais margotins sur le feu qui s’éteignait. Elle prétendait que l’Italie avait été humiliée ; la vieille Gazette de Voss elle-même ne parlait de rien de moins que d’un Fachoda italien et, comme certains journaux de la péninsule reproduisaient ces appréciations, les lecteurs finissaient par se demander si elles n’étaient pas fondées. En même temps, un nouveau navire français, le Tavignano, était saisi, et, cette fois, disait-on, dans les eaux de Tunis, par des torpilleurs italiens. C’était, dans les deux pays, et plus encore dans la régence, une effervescence qui commençait à devenir inquiétante. Je proposai que cette troisième affaire fût, comme les précédentes, soumise à l’arbitrage ; mais je dus télégraphier à la colonie pour calmer son émoi et pour lui dire que le gouvernement de la République avait besoin de pouvoir compter sur sa sagesse autant que sur son patriotisme.

Il fut vite procédé à l’inspection des passagers turcs. L’enquête démontra que, pour vingt-sept d’entre eux, la qualité de membres du Croissant rouge ne pouvait être mise en doute. Ils furent aussitôt autorisés à reprendre leur voyage. L’un des deux autres, malade, resta au lazaret du Frioul ; le vingt-neuvième, n’ayant pas suffisamment justifié la réalité de sa mission, fut invité à s’éloigner de la Méditerranée. L’opinion se calma peu à peu en France, mais elle demeura surexcitée en Italie et, lorsque fut rendue la sentence de la cour de la Haye, qui consacrait, sur les points essentiels, la